le 12-12-2009 12:32

CHAPITRE III


Ce qui m'étonne, dit Dieu, c'est l'espérance.
Et je n'en reviens pas.
Cette petite espérance qui n'a l'air de rien du tout.
Cette petite fille espérance.
Immortelle.

Charles Péguy.

 

Après une nuit tourmentée passée à ressasser ma folle journée, à boire thés et cafés afin  d’entretenir mon agitation, au matin, je rejoignis Maggie Chez Dany pour y déjeuner.

Alors qu’elle me raconta avoir passé la sienne à penser à la journée d’aujourd’hui, à notre nouveau travail et tout ce que cela impliquait, je commençai mon récit.

Je lui parlai de mon agression et la façon dont je m’en étais sortie indemne.

Enfin presque, une touffe de cheveux en moins et quelques bleus en plus.

Elle me toisait estomaquée, ses yeux ronds en étaient la preuve, en prenant une de mes cigarettes.

- Tu fumes ? Mais tu fumes depuis quand toi ? M’écriai-je.

- A l’occasion, quand j’ai une poussée d’adrénaline.

Dis-moi à quoi ressemblait ton sauveur ?

Mon sauveur… drôle comme expression… et pourtant…

 Je me gardai de lui faire part de mon attitude juvénile digne d’une adolescente boutonneuse face à la coqueluche du collège….

- Heu… tu sais, butai-je sur les premiers mots, il faisait vraiment très sombre et puis il est parti très vite. J’ai eu à peine le temps de le remercier.

Je tus les minutes que j’avais passées à l’observer le cœur à la déroute. Je tus également le fait qu’il avait prononcé mon nom alors que je le voyais pour la première fois.

- Ca alors ! S’extasia t elle en tirant sur la cigarette qu’elle avait allumée, je n’en reviens pas ! Mon dieu, c’était vraiment ton jour de chance !

Sur ces sages et justes paroles, je réglai l’addition, une nouvelle journée commençait.

A neuf heures tapantes, nous fumes convoquées dans le bureau de Monsieur Green.

Nos sources s’avéraient fiables, nous étions cinq.

Je reconnus immédiatement l’un deux : Len Fire. Son physique peu banal et de type amérindien l’empêchait de passer inaperçu. Il était très grand. Sa taille immense, son corps tout en muscles, ses yeux légèrement bridés et ses cheveux noirs coupés courts, lui donnaient un pouvoir de domination.

La communauté autochtone du Canada était importante. Dans notre région, la nation des pieds noirs, nom donné à trois tribus indiennes, était encore largement représentée.

Ces autochtones avaient guidé les premiers blancs venus prospecter dans la région, la riche faune de ces contrées isolées. C’était en 1811. Juste un pas en arrière dans l’histoire. C’était hier.

J’avais croisé Len quelques fois depuis mon arrivée à la rédaction. Il nous était arrivé de bavarder quelques minutes un café à la main aussi si je le connaissais peu, je savais néanmoins qu’il était sympathique et serviable.

Un homme et une fille devant avoir le même âge que Maggie et moi et qui m’étaient parfaitement inconnus nous furent présentés.

Il s’agissait de Rose Donovan Et de Nick Cortez.

La fille était une grande rousse, longiligne, elle paraissait interminable.

Quand je fus à sa hauteur pour l’embrasser sur les deux joues et me présenter à mon tour, je pus remarquer qu’elle me dépassait facilement d’une tête. Aussitôt je me sentis naine malgré mon un mètre soixante cinq qui jusque là m’avait paru tout à fait convenable.

Des millions de taches de rousseur parsemaient son visage allongé et malgré son air sévère, Maggie m’appris plus tard qu’elle était adorable.

Nick lui, avait le physique d'un latino américain. Maggie m'apprendrait plus tard qu'il était en fait natif de Cuba. Son héritage ancestral lui avait transmis un caractère changeant et passionné. Il avait cette manière paisible et naturelle d'habiter son corps, de le maîtriser et de le faire bouger.

Grand et baraqué, quoi que comparé à Len il eut pu faire un tantinet ridicule, ses cheveux noirs coiffés en pics et son look soigné très « fashion » lui donnaient l’air d’une star en vogue.

Les consignes nous furent répétées pour la quatrième fois à la façon d’un enregistrement programmé.

Nous devions mener une enquête profonde sur les agressions et disparitions qui touchaient la région de Columbia Valley ces derniers mois.

Le but ultime étant bien évidemment de rédiger un dossier qui aurait l’effet d’une bombe.

J’aurais pu leur faire part de mon expérience  de la veille étant donné qu’on avait essayé de m’étriper pourtant je m’abstenais. « Aucune corrélation avec ce qui nous intéresse », me dis-je en moi-même. Une pure coïncidence et rien de plus, pas la peine d’en faire des choux gras.

Maggie connaissait Nick et Rose ce qui ne me surprit guère. Elle travaillait ici depuis plus longtemps que moi, deux bonnes années me semblait il et était, il faut bien l’avouer, bien plus sociable.

D’un geste du bras on nous montra où notre Q.G. avait été établi. La disposition de nos postes de travail  avait été revue afin que nous puissions travailler ensemble.

Maggie, volubile, leur fit la conversation. Tandis que nous nous rapprochions des bureaux, ils échangèrent quelques banalités puis commencèrent à évoquer des sujets moins futiles.

Une fois installés, nous nous afférâmes à reprendre nos investigations Maggie et moi  alors que Nick, Len Et Rose entamaient les leurs.

Je classai chacun des articles dont je disposais en ordre chronologique. Peu nombreux, cela ne me prit guère de temps. La violence des agressions qui avaient été perpétrées me glaça d’effroi. Les témoignages étaient épouvantables. Les récits des journalistes, alarmants. Je me rendis compte que j’avais failli faire la première page des journaux. Je pris des notes, jetai sur le papier toutes les questions et idées qui me venaient à l’esprit.

A la fin de la journée, nous entreprîmes ensemble de rassembler notre travail.

A 19 heures, nous commencions à peine à y voir plus clair.

Rose tira sa révérence, la journée ayant été harassante, je compris sa fatigue.

Je me trouvais moi-même dans un état de fatigue extrême, les nuits de ces derniers jours m’ayant procuré un sommeil très relatif…

Comme si elle lisait dans mes pensées, Maggie se leva et m’enjoignit de faire comme elle.

- Je ne sais pas, Maggie, je vais peut être rester encore un peu…

- Oui bien sur et tu vas sortir d’ici à la nuit tombée et te faire égorger encore une fois.

- Je ne me suis pas faite égorgée Maggie, la coupai je.

- Oui, certes mais cela a failli de peu. Alors dorénavant, nous sortons d’ici, ensemble !

- Je ne te connaissais pas si autoritaire ! Dis-je en plaisantant

- C’est parce que tu es inconsciente et déraisonnable ! A moins que tu ne cherches qu’à te faire secourir une nouvelle fois par Zorro.

Deux visages masculins, se tournèrent vers moi. je fis mine de ne rien remarquer.

Alors que j’étais en train de lui faire remarquer que nos lectures et le travail que nous accomplissions devaient lui monter à la tête causant chez elle un sentiment d’anxiété, elle me fit lever de ma chaise en m’empoignant la taille et le bras gauche.

- Ecoute, arrête de dire des sottises, éteins ton ordinateur, prends ta veste et ton sac. On s’en va, me somma t’elle.

A 21 heures je dois être à la Réception d’Elisabeth Bowman.

C’est une amie de mes parents. Elle donne un gala de charité et bien entendu, en gentille petite fille de bonne famille que je suis, je dois m’y rendre.

Le gratin de la région y sera et mon père me truciderait si je n’y allais pas.

Peut être qu’il projette d’ailleurs de mes marier à l’un d’eux… oh mon dieu, quel malheur !

Je dus me résoudre à me plier à sa volonté

Je ramassai mes dernières affaires en me pressant tandis qu’elle appelait l’ascenseur en appuyant sur le bouton de façon compulsive.

Une fois à l’intérieur, je la vis se balancer sur ses deux pieds, hésitante.

- Que se passe t il ? Demandai-je intriguée.

- Je voudrais que tu m’accompagnes à cette soirée pourrie.

Si tu venais ce serait moins pénible et ainsi mon père n’essayera pas de me marier au premier pétrolier du coin.

Elle venait de me sortir tout cela d’une traite, sans marquer la moindre pause.

- Je suis naze et j’ai horreur de ces réceptions, rajouta t elle insistante.

S’il te plait, fais le pour moi, je t’en prie.

Ces dernières paroles ressemblèrent à une supplique.

Je fixai mon amie  et constatai qu’elle était réellement tourmentée. Son regard m’implorait de changer d’avis.

- Très bien je vais rentrer chez moi me préparer et nous irons à ce gala « pourri » comme tu le dis si bien. Ensemble.

Mais nous n’y ferons qu’une apparition éclair, exigeai-je immédiatement. Il faut que je dorme un peu avant de tomber raide de fatigue.

- Oui ! Tout ce que tu voudras, hurla t-elle alors que les portes de l’ascenseur s’ouvraient pour nous libérer.

Je passai une heure dans la salle de bains à me préparer, m’acharnant à faire disparaître les cernes qui bordaient mes yeux.

J’enrageais devant mon placard ne trouvant rien à me mettre, m’insultant d’avoir environ une cinquantaine de jeans et rien à porter pour une telle occasion.

Ni robe ni ensemble assez classes pour Elisabeth Bowman.

Je me décidai à appeler Maggie pour lui exposer mon problème lamentable de garde robe.

Elle arriva chez moi, à sept heures et demie passées et me donna encore un quart d’heure pour me vêtir de la superbe robe noire qu’elle m’avait préparée.

Une fois celle-ci passée, je me regardai dans la glace, renvoyant mes longs cheveux blonds en arrière.

- Ca va Logan ? Me questionna Maggie à travers la porte.

- Oui ça va, après une heure et demie de gros travaux, je ne suis pas trop dégueulasse.

Je l’entendis exploser de rire alors que j’ouvrai la porte qui, jusque là me cachait.

- Waouh ! s’exclama t elle.

- Oui, non, n’en rajoute pas ou j’enfile mon pyjama et t’abandonne à ton triste sort.

- Ok, pour les compliments, tu repasseras.

Trois quart d’heures de route nous séparaient de la ville de Rupert.

Nous primes sa Chevrolet bleue pour nous y rendre et en chemin elle me fit part de ses théories sur les événements qui frappaient la vallée.

Plus saugrenues les unes que les autres, je ris de bon cœur durant tout le trajet ce qui me détendit un peu.

Nous arrivâmes devant un portail en fer forgé grandiose, une œuvre d’art. Maggie brandit alors son carton d’invitation au vigile taillé comme une armoire en bois massif. Il fit un signe de la tête, nous souhaita de passer une bonne soirée ce qui me fit émettre un grognement.

Le portail s’ouvrit nous dévoilant un parc merveilleux.

Si la soirée allait être ennuyeuse à en mourir, j’aurais pu au moins me régaler du décor.

Un nombre important de voitures, plus grosses les unes que les autres, occupait le parking qui avait été aménagé pour l’occasion.

Celle de Maggie faisait l’effet d’une caisse à savon comparé aux véhicules luxueux qui nous entouraient.

- Si cela peut te détendre, certains sont venus en limousine, me dit-elle.

J’avalais ma salive péniblement et ouvris la portière.

 


Commentaires

 

denosgrandiosesmetamorphoses  le 26-02-2011 à 08:23:54  #

Pas de panique, cela a été corrigé depuis longtemps ... Pas ici, c'est un oubli ...

mtores  le 26-02-2011 à 07:12:07  #

qui me fit émir un grognement.

c'est qui émir?

sendreen  le 20-02-2010 à 09:53:13  #

j'aime bien comme tu mélanges toutes les intrigues. qui est son mystérieux sauveur? va-t-elle le revoir à la soirée? qui est à l'origine des disparitions? comment va se dérouler l'enquête? et pleins d'autres questions encore, c'est super!

grandioses-metamorphoses  le 12-12-2009 à 17:44:13  #   (site)

merci ! tes commentaires me font un bien fou... j'en ai peu !!

angelsonrisa  le 12-12-2009 à 13:35:02  #   (site)

Ouaouaouh. J'adore Hate de voir la soirée.

 
 
le 13-12-2009 10:53

Chapitre IV


Les âmes se pèsent dans le silence, comme l'or et l'argent se pèsent dans l'eau pure, et les paroles que nous prononçons n'ont de sens que grâce au silence où elles baignent.  

Maurice Maeterlinck

 

La salle de réception était somptueuse. De majestueux lustres en cristal ornaient les rosaces des plafonds.

La salle à manger  était entièrement décorée dans les tons crème, les tables étaient drapées de tissus soyeux, retombant en des plis parfaits.

Des bougies trônaient un peu partout rendant l’atmosphère conviviale et chaleureuse.

Une dizaine de serveurs déambulaient leurs plateaux à la main, proposant mignardises et coupes de champagnes à chacun des invités.

Maggie me présenta à ses parents, des gens charmants. Au premier coup d’œil je remarquai combien la ressemblance entre mon amie et son père était frappante. Inutile de chercher plus loin de qui elle tenait son regard de jade et son sourire gracieux.

Comme elle l’avait prévu, ma présence contraria les plans de son père, qui ne fit aucune tentative afin de lui trouver un chevalier servant dans l’instant.

Un orchestre jouait une symphonie magnifique, je reconnus l’air mais ma culture en musique classique étant inexistante, je ne pus dire de quelle mélodie il s’agissait exactement.

Alors que nous nous asseyions à notre table, je m’apprêtais à demander à Maggie si elle savait de quelle composition il était question.

Et soudain, comme dans un rêve, je l’aperçus.

Il se tenait au fond de la salle avec quelques autres individus, debout, face à moi, visiblement il m’observait.

Le voir à nouveau déclencha quelque chose d’étrange en moi.

C’était ridicule. J’étais ridicule. De la façon la plus détendue qu’il soit, j’aurais du aller vers lui puis le saluer. C’était une règle élémentaire lorsque l’on reconnaît quelqu’un se trouvant dans la même pièce que soi. Cela devenait même le B.A BA de la bienséance lorsque ce quelqu’un vous avait sauvé la mise, pour ne pas dire la vie, la veille.

« Bouge toi Logan », « conduits toi un peu normalement pour une fois », m’intimai je. Mais rien à faire, j’en étais totalement incapable.

Je n’avais aucune raison d’être gênée et de me la jouer effarouchée. Mais plus je me sermonnais plus je reculais. J’en arrivais donc au point de non retour, impossible d’amorcer le moindre geste en sa direction ni même de lui jeter un bref coup d’œil.

Ma curiosité me travaillait toutefois bien plus que ce que je ne l’aurais pensé.

Depuis combien de temps avait il remarqué que j’étais là ? M’avait-il immédiatement reconnu ?

- Logan, tu as vu un fantôme ma chérie ? Me questionna Maggie, me sortant tout net de mes rêveries.

- Il est là, murmurai-je tout bas sur un ton catastrophé.

- Qui ? Qui ça ? Insista t elle en se tournant de tous les côtés pour balayer la salle du regard.

- Lui. Il est là, là bas, faillis-je m’étouffer en baissant les yeux.

- Qui ? Zorro ? Ton Zorro ?

Je hochai la tête la priant par la même occasion d’être discrète. Mais elle ne résista pas à la curiosité qui la tenaillait et continua de le chercher parmi la foule de gens autour de nous. Dans la salle immense, environ deux cent personnes se tenaient droites, pour certaines assises, mais elle n’eut pas de mal à le repérer.

- Ca y est je le vois, me murmura t’elle sans doute pour se donner une attitude plus pondérée.

Elle avait beau chuchoter, s’il n’avait pas remarqué le manège, c’est qu’il était aveugle.

Je me mis à frotter nerveusement mes mains moites et encombrantes et relevai la tête machinalement comme soumise à une force extérieure.

Il était encore plus beau que la veille.

- Mon dieu… dis-je à voix haute, il est encore plus beau qu’hier.

A l’avoir pensé si fort je l’avais dit tout haut.

- Oh ! Mais il faut que j’aille l’embrasser pour t’avoir sauvée !

- Si tu bouges Maggie, je te tue, je te pends par les pieds et je te tue de mes mains, la menaçai je sans ménagement.

- Ok, répondit-elle résignée. Mais laisse-moi te faire remarquer qu’il ne te quitte pas des yeux.

Elle ricana comme une enfant.

Je n’osais plus le regarder.

- J’ai besoin d’un verre, déclarai-je les yeux vissés à mes chaussures rutilantes.

- Je vais trouver un serveur, que désires-tu ?

- N’importe quoi pourvu que ce soit alcoolisé, répondis je en m’asseyant.

Alors qu’elle partait à la recherche de mon remontant, j’entrepris de compter les couverts disposés sur la table. « un, deux, ..trois ».

Impossible de maîtriser ma nervosité. Je ne savais déjà plus où j’en étais dans mon compte. Je m’apprêtai à recommencer mon recensement quand une main se posa sur mon épaule et faillit m’arracher un cri.

Je me tournai et vis un visage inconnu m’afficher un sourire vendeur. Il étala devant moi ses dents parfaites, d’un blanc éclatant, pour m’inviter à danser d’une voix mielleuse.

Apparemment mauvais vendeur, je refusai poliment son invitation prétextant attendre mon amie.

Alors que l’homme au sourire ultrabright s’éloignait, je levai la tête sans trop réfléchir.

Il était planté au même endroit, ses yeux bleus m’étudiaient.

J’eus l’impression qu’ils me transperçaient.

Comme la veille j’eus la sensation que le cours du temps s’arrêtait, que les gens et le décor autour se figeaient, que seuls lui et moi étions réels.

Je tentaide me ressaisir, de récupérer mon regard afin de le porter ailleurs ou sur quelqu’un d’autre.

Maggie arriva la démarche chaloupante deux verres de Margarita à la main, ma main droite en saisit un aussitôt.

Quelques secondes plus tôt alors que je rassemblais mes forces pour détourner mes yeux des siens, j’aurais juré que tout en me fixant, il avait ri.

- Alors ça va mieux ?

- Oui çavasuperbien, persiflai je ironique. Voilà c’est fait, je viens de me ridiculiser comme jamais. Une vraie potiche.

Je vais faire comme s’il n’existait pas, je vais l’ignorer totalement et peut être que d’ici une cinquantaine d’années, j’aurais moins honte, dis je en gémissant.

- Mais pourquoi dis tu cela ma chérie ?

- Pourquoi ? Tu ne vois donc pas cet air de godiche que j’affiche dès que je le regarde ? Je crois même qu’il vient de se moquer de moi… me lamentais je misérablement.

Alors que les invités prenaient place pour dîner, assise bien solidement sur ma chaise, j’avais englouti trois verres de Margarita.

Maggie, installée à mes côtés, n’avait eu de cesse de glousser en me voyant si agitée.

Le repas était divin, très fin. Je ne parvenais cependant pas à l’apprécier comme je l’aurais du. Je mastiquais chacun des aliments que je portais à ma bouche et l’avalais tout rond.

Quand Maggie m’apprit que son père allait payer 250 dollars pour chacune de nous deux, prise de culpabilité, je décidai de finir mon assiette coûte que coûte malgré le nœud qui me comprimait l’estomac.

Cinq minutes plus tard, non sans mal, j’étais délivrée de mes obligations.

- Sais tu où il est ? Je ne le vois plus, murmurai je à l’intention de Maggie qui,  elle se délectait des mets garnissant son assiette.

Elle porta sa fourchette à sa bouche affichant une moue plus que satisfaite.

- C’est normal, pouffa t-elle, tu as le nez dans ton plat depuis tout à l'heure. Je te vois tu sais, déployer des moyens surhumains pour ne plus le regarder. En revanche, lui ne se prive pas d'admirer ce qu'il a sous le nez.

Sur ce, elle pouffa de plus belle alors que sa remarque manqua de me faire étouffer.

Au même moment, l’homme aux dents plus blanches que blanches qui n’en avait pas raté une miette et qui avait  constaté que j’en avais fini avec mon repas, revint à la charge,  se posta sur le coté droit de ma chaise et avec le même sourire béat fixé à ses lèvres, me susurra à l’oreille « votre amie est de retour à présent, allons danser ». 

Son souffle contre mon cou me hérissa, pourtant je me levai laissant ma serviette près de mon assiette et le suivi sans un mot.

Deux danses plus tard, je n’arrivais plus à m’en dépêtrer. J’avais beau gigoter, lui envoyer des signaux plus que suggestifs, il refusait de desserrer son étreinte. Le balourd. M’en remettant au Dieu de la délivrance, je récitais dans ma tête toutes les prières que je connaissais pour que la musique finisse par cesser.

Mais cette saleté d’orchestre n’entendait point mes supplications et continuait de jouer tandis que mon cavalier commençait à avoir les mains bien trop entreprenantes à mon goût. Devant l’urgence de la situation, je prétextai soudain ne pas me sentir bien.

Mon excuse était calamiteuse mais ce fut la seule qui me vint pour me permettre de m'enfuir des bras de cet homme. Calamiteuse ou pas, elle sembla fonctionner puisque je le sentis lâcher prise, aussitôt j’en profitai pour me dérober de façon théâtrale, la main sur le front en feignant le malaise.

La grande salle disposait de magnifiques baies vitrées en demi-cercle, à la hâte, j’en ouvris un battant pour rejoindre la terrasse.

La bise battit mon visage et me vola un frisson. Il faisait froid mais peu importait si c’était le prix à payer pour être enfin tranquille. J’étais seule.

Et puis j’entendis des pas derrière moi. Comme j’y prêtai attention,  ils stoppèrent leur mouvement.

Tout en inclinant ma tête vers le sol, je poussai un soupir d’exaspération à la seule idée que Monsieur Sourire Parfait faisait sa réapparition.

Dans un souffle je l’entendis me dire :

- Tu avais besoin d’air frais ou juste de solitude ?

Sa voix familière me revint.

Je fermai alors les yeux comme si je voulais retenir un rêve encore un instant. Malgré ma gêne inexpliquée et ma gaucherie, j’avais souhaité qu’il vienne. Et il se tenait là.

Il avait du faire un pas parce que je le sentis soudain plus près, juste dans mon dos.

Refusant d’ouvrir les yeux pour autant, je le retins ainsi encore un peu en serrant fermement mes paupières.

Un courant d’air froid balaya mes cheveux et je me rendis compte que mes joues qui auraient du être gelées se réchauffaient miraculeusement.

Mon regard finit par s’éveiller à nouveau. Le charme ne fut pas rompu, il se trouvait encore derrière moi.

- Des deux je pense, dis je en brisant le silence.

Je le sentis se raidir légèrement.

- Mais votre présence ne me dérange pas, ajoutai-je presque malgré moi.

Puis, ramenant à moi le peu de courage qu’il me restait et parce que l’envie de voir de près son visage était la plus forte, je finis par me tourner.

J’aurais pu m’embroncher à mes propres chaussures Gucci tellement ce simple geste me coûtait.

Il était face à moi à présent et tout ce que je voulais se résumait dans le simple geste d’avancer une main, juste pour vérifier s’il était bien réel. Bien entendu, je n’en fis rien.

Je levai alors mes yeux vers lui. Son regard éclatant me saisit.

La veille, je n’avais point rêvé ses yeux, non ils étaient là ce soir, rivés aux miens et je les reconnaissais.

Alors que je m’attardais, les détaillants dans les moindres détails, je pris conscience que de son côté, il faisait exactement la même chose. Je tentai vainement de refouler la vague d’émotions qui me submergeait en me détournant légèrement.

Ce geste ne m’éloigna pas de lui physiquement, il m’aida juste sur l’instant à lutter contre la complexité de mes sentiments.

Comparable à une réponse au mouvement que je venais d’exécuter, il sembla alors légèrement avancer son visage vers le mien alors que la fine lumière offerte par la lune pleine irradiait sa chevelure.

Ses cheveux cuivrés indisciplinés étaient un mélange de miel et d’or. Je ne pus détourner la tête à nouveau pour m’en détacher.

S’il s’était approché un peu plus près, s’il avait collé davantage son visage au mien, j’aurais pu penser qu’il voulait m’embrasser. Mais la distance entre nous ne me permis de nourrir aucune fausse idée.

Nous restâmes ainsi un moment, en oubliant nos voix, partageant cette situation étonnante et déconcertante générée par nos propres silences.

Il ne paraissait pas autant gêné que moi de se retrouver là ainsi, ensemble, à partager un bout de terrasse sans même que l’on ne s’adresse un mot. Il ne semblait pas désireux de parler à tout prix pour combler un silence qui se démenait pour s’imposer alors qu’il y parvenait sans forcer.

Je décidai pourtant d’y mettre un terme.

- Il serait ....Il serait temps, me repris-je,  de répondre à la question que je vous ai posée hier soir.

- Laquelle ?

- Je crois ne vous en avoir posé qu’une seule, comment connaissez-vous mon nom ?

Je remarquai qu’il enfonçait davantage ses mains dans les poches de sa veste, secouant doucement sa tête de gauche à droite en guise de réponse.

- Visiblement, vous ne me répondrez pas, lui dis-je avec fatalité. Tant pis. Je n’insisterai pas en gage de reconnaissance pour ce que vous avez fait pour moi.

- Alors comme ça, nous serons quittes, répondit il calmement.

Sa réflexion me fit instantanément sourire, ce qu’il ne manqua point de remarquer car soudain il m’apparut moins crispé.

Effectivement, je vis les muscles de son corps légèrement se relâcher et il s’avança alors encore un peu.

Je grelottai.

D’un geste souple, il ôta sa veste pour me la tendre immédiatement.

Je déglutis péniblement en tentant de maîtriser les tremblements incontrôlés de mon corps tout en prenant délicatement la veste de smoking qu’il m’offrait.

Quand je m'en emparai, je fis très attention à ne pas le toucher mais d’un geste imperceptible il laissa filer sa main plus longtemps que de nécessaire sur le morceau de tissus et effleura la mienne.

Il la frôla à peine et j’enfilai aussitôt son vêtement trop grand pour moi.

Son parfum caressa mes narines, je le respirai à fond pour m’en imprégner pendant qu’il s’approchait des balustrades en fixant l’horizon.

Je le regardai à la dérobée, confuse de ne parvenir à ôter mes yeux de lui. Je le regardai comme l’on regarde un objet précieux et rare que l’on voit pour la première fois en ayant conscience que l’on peut se le faire ravir et ne plus jamais avoir la chance de le revoir.

Puis, il se planta devant le garde corps, sa vue toujours clouée au plus loin de son champ de vision, ma présence sembla lui échapper.

Le vent gelé s’engouffrait dans les manches de sa chemise blanche remontées au milieu de ses avants bras, faisant gonfler le fin tissu du vêtement tout entier. Mais il ne réagissait pas. Pas le moindre geste. Pas le moindre frisson.

- Je vais vous laisser, dis je. Merci pour la veste, tenez la voici, je vous la rends. A l’intérieur elle ne me sera plus utile.

Je l’ôtai à contre cœur, en constatant que mes paroles l’avait sorti de sa torpeur et qu’il approchait déjà vers moi.

Il s’accrocha à la veste que je lui présentai d’une main mal assurée.

- J’ai l’impression que je passe mon temps à vous remercier, plaisantai je en bafouillant. Je ne connais même pas votre nom. Vous connaissez le mien, ce n’est pas juste.

Il émit un son qui semblait être un léger rire, me fixa un instant, réfléchissant sans doute à la réponse qu’il allait me donner et murmura :

- Tu as raison, j’ai deux avantages sur toi : Le premier, je connais ton nom. Le second : nous ne sommes plus à égalité, je viens de te permettre de ne pas mourir de froid alors que tu tentais une nouvelle fois d’échapper à un homme.

J’ai le sentiment moi, que je passe ma vie à te sauver d’hommes mal intentionnés…

Ses dernières paroles le conduisirent à rire doucement.

Son rire était chantant, mélodieux.

Je me permis de le fixer quelques secondes sans me détourner. Il avait le regard amusé d’un enfant.

- Très bien, admis-je. Il semblerait effectivement que ces derniers jours vous m’ayez été utile. Mais je vous rassure en règle générale je m’en sors très bien seule. Que puis-je faire pour rembourser ma dette ? Que voulez vous ?

Il ne réfléchit pas à la réponse qu’il allait formulée comme s’il la connaissait déjà. Il répondit immédiatement en ne faisant montre d’aucune hésitation.

- Tout.

A ce moment là mon cœur cessa de battre.

Je le regardai ahurie, il était redevenu sérieux.

Pendant quelques secondes je restai là pantoise, les bras ballants, l’unique mot qu’il venait de prononcer raisonnant dans ma tête.

- Je n’ai pas grand-chose à donner, bredouillai-je enfin.

Il bougea, et alors qu’il allait me dépasser un chuchotement me parvint.

- Je suis certain du contraire.

Je l’entendis tirer la porte et regagner l’intérieur.

Il me laissa là, dans la nuit, les joues brûlantes. L’envie de l’appeler pour qu’il revienne arriva aussitôt, brutale comme une rafale de vent. Inexplicable et insolite. Forte. Immense. Et cette envie me terrifia. Mais pour la première fois je laissai ma peur se déchainer sans lui accorder la moindre importance.

 


Commentaires

 

Sendreen  le 26-02-2010 à 17:10:20  #

Un vrai gentleman cet homme, toujours prêt pour porter secours. Très beau chapitre, ça promet.

elwin  le 02-02-2010 à 09:55:02  #   (site)

Magnifique comme le reste ma chérie !
Mais que va t'il se passer entre ces 2 là ?
L'avenir nous le dira...

angelsonrisa  le 18-12-2009 à 17:58:59  #

Magnifique une fois de plus. J'ai tellement Hate de lire la suite...

 
 
le 06-02-2010 07:37

Chapitre V

L'homme est comme un ange en danger.
MC Solaar.


Trois jours avaient passé, le froid avait envahi la vallée, l’enveloppant d’un nuage glacé.
Nous avions travaillé depuis comme des forcenés.
A plusieurs reprises, nous avions épluché chacune des coupures de presse qui étaient parues ces deux derniers mois concernant de près ou de loin, les crimes et disparitions qui s’étaient déroulés dans la vallée.
Evidemment, il nous était tout à fait impossible d’en tirer de quelconques conclusions ni même d’éventuelles explications mais nous avions le mérite d’avoir mis de l’ordre tout en menant un travail en profondeur.
Nous avions décidé de définir clairement les attributions de chacun. En nous séparant le travail et en établissant franchement les tâches à accomplir pour chacun, nous pensions procéder au mieux.
J’étais fortement étonnée de constater que nous formions d’ores et déjà, une équipe.
Len qui avait proposé de se charger des recherches menait une enquête de fond allant des disparitions aux crimes en passant bien entendu par les agressions qui avaient été perpétrées.
Il se montrait passionné, prenant à peine quelques minutes pour déjeuner avant de retourner se jeter tête la première dans le monceau de paperasses étalé devant lui.
Nick lui, s’il n’en était pas moins intéressé par sa tâche, se montrait plus mesuré. Il avait décidé de se préoccuper principalement des disparitions qui avaient été soulevées par la police locale.
Sept au total.
Avec l’aide de Len, il s’efforçait de dresser le portait détaillé de chacun des disparus en passant au peigne fin leur état civil, leur histoire, leur passé.
C’est ainsi que nous pûmes découvrir qui se cachaient derrière les identités de Ashley Joerling, Barbara Carter, Tyler Hagan, Leah Walsley, Jayden Griessler, Lucas Gaspinski, et Jeremiah Zwolinski.
Rose, avait passé des dizaines de coups de téléphones afin de se procurer témoignages et rapports de police.
Cette dernière ne semblait pas très coopérative, aussi avait-elle essayé de faire intervenir diverses personnes afin de plaider notre cause.
Elle avait pu néanmoins s’entretenir avec quelques proches des personnes disparues et de celles qui avaient été assassinées. Cela permit à Nick d’avancer son étude et m’aida à progresser dans la mienne.
C’était une fille terriblement attachante, elle prenait soin de chacun de nous.
Sa présence rendait notre tâche moins pénible.
Tandis que Maggie s’évertuait à recouper les informations que nous lui donnions afin de tenter d’établir liens et similitudes, mes propres investigations qui se rapprochaient de celles de Len, se rapportaient aux crimes atroces et aux agressions terribles qui avaient été commis.
Trois personnes avaient en effet fait l’objet d’attaques d’une sauvagerie rare, les laissant pour mortes, au coin d’une rue, dans la forêt, en plein jour comme à la nuit tombée.
Loin d’en faire des choux gras, quelques coupures de presse avaient donné quelques détails sur Kyle Lowell, Johnny Oshea et Pamela Mccool.
Kyle Lowell et Pamela Mccool avaient été retrouvés très grièvement blessés à huit jours d’intervalles dans la forêt.
Johnny Oshea avait lui, apparemment été abandonné moribond dans une ruelle de la ville, sans doute en pleine nuit, il ne fut découvert qu’au petit matin.
Tous trois avaient un point commun : leurs blessures ne laissaient entrevoir aux médecins des hôpitaux de Calgary et d’Edmonton qu’une issue fatale.
Inconscients, dans le coma et sous respirateurs artificiels, leurs jours étaient comptés.
Immanquablement lors de ces évènements aucun parallèle ne fut fait. La faute à pas de chance avait- on certainement pensé. Nul n'avait accepté de concevoir que l'horreur dans toute sa puissance s'abattait sur la ville. Le déni de tout ceci l'avait emporté et ni la presse écrite ni les médias télévisés ne soulevèrent l’éventualité d’un quelconque lien entre ces affaires.
Kyle Lowell était décédé de ses blessures, seize heures après avoir été admis en soins intensifs et ce dans la plus grande ignorance.
Puis l’inquiétude avait grandi très vite quand les disparitions s’étaient succédées et que la mort de trois personnes fut avouée par les autorités. Les gens commencèrent alors à murmurer certains mots, ne les prononçant pas trop fort de peur certainement qu’ils ne s’avèrent que plus vrais et plus effrayants encore.
La crainte et l’appréhension avaient rapidement gagné du terrain sans toutefois encore que cela ne fasse la une des journaux. Du moins pas les premiers jours.
Mais la situation était grave, l’angoisse terrible et oppressante, aussi les médias commencèrent à s'y intéresser de plus près.
Cela n’aurait ni surpris ni inquiété certaines populations mais ni la ville de Jasper, ni même la Columbia Valley, n’étaient habituées à pareille vague de violence.
Nous prenions chaque jour d’avantage la mesure du climat inquiétant qui s’établissait à Jasper et ses environs.
Que se passait-il ici, dans ce petit paradis sauvage qui, mis à part par le froid, n’était jamais troublé par rien ?
Nous ne pouvions pour l’instant affirmer que tous ces actes de violence et ces disparitions étaient liés entre eux mais tout comme nos patrons l’avaient senti, nous en étions instinctivement convaincus.
Sans tomber dans la paranoïa, nous commençâmes à faire attention à sortir du journal à deux au moins lorsque la nuit était tombée et les rues désertées. Le couvre feu semblait avoir été déclaré.
Ma petite expérience m’avait démontrée que sans avoir peur de tout, deux précautions valaient mieux qu’une.
Bizarrement, ma mésaventure ne m’avait pas traumatisée, je ne passais pas mes nuits à me repasser ces instants d’angoisse où ma vie semblait suspendue entre les mains de cet homme menaçant.
Je ne pouvais en revanche, pas affirmer la même chose de celui qui était intervenu ce soir là et qui, tel un héro de bande dessinée avait flanqué une déverrouillée magistrale à mon agresseur, me rendant par là même ma liberté.
Je ne parvenais pas à l’ôter de ma mémoire, son souvenir étant encore trop frais dans ma tête, ses yeux et son sourire s’accrochaient à mes pensées.
Je mis mon état sur le compte du choc que cette soirée là avait du me causer même de façon inconsciente et tentai de me persuader que les sentiments que m’inspiraient cet homme étaient le reflet de ma simple reconnaissance.
Après tout, on ne vous sauve pas la vie tous les jours.
Ce soir là, Rose, Maggie et moi quittâmes notre travail à dix neuf heures trente.
Trop absorbées, les aiguilles du temps avaient tourné sans même que nous nous en aperçûmes.
Rose s’était emmitouflée dans une grande cape noire, seuls ses longs cheveux bouclés rouge se
distinguaient dans l’obscurité.
Maggie elle, avait enfilé un bonnet de trappeur qui recouvrait son crâne et ses oreilles, dépareillant totalement avec sa tenue citadine.
Le look qu’elle affichait nous tordit de rire Rose et moi, nous donnant un peu moins froid.
J’habitais ici depuis peu et c’était le premier automne que je passais à Jasper.
Je n’étais point acclimatée à de telles températures et même si certains hivers étaient
particulièrement rigoureux sur New York, ici rien n’était comparable.
Alors que nous riions de tout notre soul, je sentais l’air me claquer le visage.
Je rabattis mon caban, chaque muscle de mon corps se contractait sous le vent glacial qui venait s’y engouffrer.
Nous accompagnâmes Rose chez elle, elle habitait à quelques rues de là, puis Maggie et moi allâmes retrouver ma voiture.
Je mis le chauffage à fond, priant intérieurement pour que notre habitacle se réchauffe rapidement alors que mes doigts se crispaient sur le volant.
Nous étions arrivées en face de la maison de Maggie à l’ouest de la ville que celui-ci
déclenchait à peine.
— Les vieilles bagnoles….On a le temps de se congeler sur place avant qu’elle ne chauffe un peu, pestai-je en claquant des dents.
— Tu sais, elle aura au moins le mérite d’avoir tenu le coup ici. C’était pas gagné, les vieilles voitures ça n’aiment pas le froid en général.
— C’est sur. Parfois je me crois en Sibérie ! Tu me diras, c’est un peu plus joli qu’en Sibérie, et plus vert aussi !
Rose m’observait avec un air entendu.
— Tu te plais bien ici, ça se voit, me dit-elle.
— Oui, c’est vrai. Je ne pensais pas m’acclimater aussi vite. Mais tout ici est charmant, la ville, ses environs, c’est tellement sauvage, dense, beau, que je m’en émerveille encore et puis, les gens aussi sont charmants ici.
Elle rit à mon clin d’oeil.
— Bon allez à demain, me lança-t-elle en me donnant un baiser sur la joue. Rentre bien.
— A demain Mag. Bonne nuit.
Sans m’en rendre compte, je m’étais permis cette familiarité. Je remis la première, le moteur
tournant encore et je filai chez moi.
Le brouillard avait enveloppé la petite ville d’un voile épais, je dus régler ma vitesse en fonction de la visibilité.
En rentrant je croisai quelques voitures qui roulaient à une cadence plus soutenue, leurs conducteurs étant sans doute plus habitués que moi aux mauvaises conditions climatiques.
Quoi qu’il en soit, une quinzaine de minutes plus tard, je me garai dans l’allée de graviers.
J’étais arrivée à bon port.
Je tournai la clé dans la serrure et passai la porte machinalement, pressée de me réchauffer et de me retrouver chez moi.
Nonchalamment, je fis tomber mon sac de mon épaule et le jetai nonchalamment avec les clés sur le meuble en pin de l’entrée.
J’allumai la lampe qui y était posée, me déchaussai avant de me jeter sur le canapé accueillant en cuir noir du salon qui me tendait ses bras.
Alors que la pression de la journée s’évacuait peu à peu, je me décidai à monter à l’étage me faire couler un bain afin de la chasser définitivement.
Je ne m’en rendis pas compte immédiatement.
L’ordre que j’avais laissé derrière moi le matin même en partant travailler régnait encore. Je regardai autour de moi sans savoir réellement en quoi consistait ma quête puis gagnai la salle de bains.
Quelque chose me chagrinait, impossible de déterminer ce dont il s’agissait.
Je pris mon bain, l’eau bouillante me délassa encore plus que ce que je ne l’aurais cru et tout en me laissant réconforter par le contact apaisant de l’eau, soudain mon sang ne fit qu’un tour.
Je m’éjectai de la baignoire, dégoulinante, m’enroulant rapidement dans la serviette que j’arrachai à son portant, dévalai les escaliers à toute vitesse manquant de glisser, et me postai là au milieu du salon.
En un éclair, mes yeux se portèrent un peu partout.
Et alors que j’essayai de me reprendre, cela me revint.
Ce matin, alors que j’allais sortir, j’avais décidé à la dernière minute d’abandonner ma veste en cuir trop légère, pour un manteau, bien plus chaud.
Je l’avais glissée sur un cintre, dans le placard de l’entrée qui refusait de se fermer.
Trop pressée j’avais enfilé mon pardessus et avait filé.
En face de moi se trouvait le placard, impeccablement refermé.
Pas moyen de me raisonner, je m’en rappelais parfaitement.
Je devais être lucide et me rendre à l’évidence : je n’avais pas touché à la porte de cette penderie et si je ne l’avais pas fait quelqu’un l’avait fait pour moi.
On s’était introduit chez moi.
Dans un geste de panique, je me ruai sur la porte d’entrée pour m’assurer de l’avoir
correctement verrouillée. C’était le cas. Mon coeur se calma un instant puis repartit de plus belle dans un rythme affolé.
Les pensées tambourinaient dans ma tête, essayant malgré tout d’y mettre un peu d’ordre, je m’emparai de mon sac à mains.
Quelques jours plus tôt, je l’avais laissé choir sur le sol, dans un parc, pensant que cela pouvait me sauver la vie. Je me dis que certainement, dans l’affolement, des papiers contenant mon identité, mon adresse même, avaient pu en tomber sans que je ne le remarque.
Sans ménagement, je le vidai complètement sur la table afin d’en faire l’inventaire. D’un geste rapide de la main j’étalai devant moi son contenu.
Les trois quarts des choses auraient eu leur place dans une poubelle, vieux paquet de kleenex et de chewing-gum, stylos publicitaires qui n’avaient sans doute jamais correctement écrit, une quinzaine de briquets…
Mes papiers se trouvaient habituellement dans mon portefeuille, je l’ouvris avec empressement et constatai qu’ils n’avaient pas disparus.
Pièce d’identité, permis de conduire, carte d’assurée sociale….rien ne manquait à l’appel.
Pendant quelques instants je fermai les yeux pour mieux me concentrer. Non, je ne voyais absolument pas ce que j’avais pu égarer qui aurait pu conduire quelqu’un jusqu’ici.
On ne m’avait pas suivi non plus, j’en étais certaine. Le chemin conduisant chez moi aurait eu vite fait de me laisser apercevoir un véhicule.
Je rattrapai d’un geste mon drap de bain qui manqua de s’étaler sur le sol, faisant un demi-tour sur moi-même, j’allai décrocher mon téléphone.
D’une main tremblante je composai le numéro de Maggie.
Elle me proposa immédiatement de venir me rejoindre et après que j’ai décliné deux fois sa proposition, avait conclu notre conversation par un « j’arrive tout de suite » ferme et non négociable.
J’étais en train de remuer la maison toute entière afin d’établir ce qu’on avait pu me dérober qu’elle toqua à ma porte.
En moins de temps qu’elle n’avait mis pour me le dire, elle était là.
J’ouvris la porte et me jetai littéralement dans ses bras.
Nous passâmes une grande partie de la soirée à fouiller chacune des pièces afin de trouver ce qu’on m’avait volé.
Deux bonnes heures après que nous ayons commencé, j’en vins à la conclusion étonnante que rien n’avait disparu.
Maggie me fixa d’un air inquiet alors que je m’asseyais par terre, en tailleur complètement
déprimée.
— Tu devrais peut être appeler la police, suggéra-t-elle au bout d’un moment.
— Et tu veux que je leur dise quoi ? Que j’ai laissé mon placard ouvert ce matin et que je l’ai retrouvé ce soir fermé ? Que rien ne m’a été volé et mieux, qu’il n’y a même pas de marque d’effraction ? Ils ne vont pas me prendre au sérieux, et pire, ils vont me coffrer pour démence.
Elle souffla, concluant sans doute que je ne me trouvais pas très loin de la vérité puis s’assit en face de moi, imitant ma position.
— Ecoute c’est peut être un gosse… Tu avais sans doute mal verrouillé ta porte en partant ce matin. Cela m’arrive fréquemment, je crois que j’ai fermé ma porte à clé et le soir quand je rentre, je me rends compte que non, elle est restée ainsi toute la journée.
— Peut être, admis-je. Par mesure de précaution poursuivis-je, demain je ferai changer les verrous.
— Voilà tu as raison, sage décision, cela te tranquillisera.
Je n’étais pas dupe. Elle n’était pas convaincue. Ni de ses propres propos, ni des miens.
D’ailleurs, moi non plus.
La soirée se trouvait sérieusement entamée. Maggie décida de passer la nuit ici, ce qui me soulagea un peu.
Elle prétexta la fatigue et la nuit pour ne pas prendre la route mais je savais bien, au fond de moi, qu’elle restait pour me rassurer.
Ce soir là, alors qu'elle s’étendait dans le canapé lit que je lui avais déplié dans la chambre d’amis située à côté de la mienne et qu’elle s’enroulait dans la couverture de laine, je m’efforçai de relativiser les idées noires qui s’entrechoquaient dans ma tête, m’empêchant de me calmer.
« Trop d’émotions rapprochées », me murmurai-je à moi-même, frissonnante malgré la couette qui me recouvrait.
L'angoisse m’étreignait à m’en étouffer mais épuisée, je sombrai peu à peu dans le sommeil, toujours emplie de pensées inquiétantes. Ces sommeils tourmentés je les connaissais bien. Ils avaient fait de mes nuits une habitude.
On dit pourtant du sommeil qu’il constitue la meilleure façon de s’évader.
Quand le jour s’est montré intraitable et qu’il ne nous a rien épargné, la nuit alors on peut oublier et tout recommencer. Quand la lumière s’éteint, libre, on peut décider de ses rêves et de ce qu’ils vont contenir. On peut les imaginer et les vivre à volonté. Notre liberté est si grande qu’on a le choix du début et qu’on peut aussi décider de la fin.
Et à chacune de ces journées que l’on ne voudrait pas vivre, se succède une nuit où le sommeil rend plus douces voir même plus belles, parfois, nos existences pour lesquelles on ne maîtrise rien. Dans nos rêves, on peut devenir plus dignes, meilleurs et plus forts. On peut revoir pour une heure ceux qui nous ont désertés. On choisit qui, on dit quand, on décide de tout.
Ces instants de grâce où l’on revoit le visage de ceux qui nous manquent tant, ces morceaux de vie que l’on réinvente sans commettre les mêmes erreurs, ces moments d’espoir et de bonheur enivrants, on ne les doit qu’à la nuit et à la chance qu’elle nous offre de pouvoir supporter le jour quand il reviendra.
Mais il y a aussi ces nuits bordées de silence où le noir engloutit nos songes et ce qu’ils ont de plus beaux. L’illusion est brisée, nos envies les plus fortes, balayées par la réalité qui revient sans qu’on l’ait rappelé.
De nouveau on se retrouve dominés, asservis. Nos pires souvenirs reviennent à la charge, au triple galop, nous percutent de plein fouet sans que l’on n’y puisse rien. Tout comme le plus merveilleux des rêves, ils peuvent se rejouer cent fois. Cent fois, ils nous culbutent et nous font tomber, en douleur.
Moi, je revoyais cet homme aux yeux mauvais s’amuser à me faire du mal. Je me souvenais parfaitement de son allure et de son visage. Les expressions affichées, sa façon de me regarder et celle de se déplacer. C'était stupéfiant de constater combien la photographie était nette.
J’imaginais alors quelqu’un, une silhouette, s’introduire chez moi. Je la voyais rôder dans chacune des pièces, me tenant derrière elle, je ne distinguais que son dos. Mais je pouvais deviner la noirceur dans ses yeux et tout le mal qu’ils contenaient.
Ma nuit était aussi effrayante que ne l’avait été ce jour là. Mais, dans cette obscurité totale et écrasante, au loin, apparut une lueur étincelante.
Elle était éblouissante et rassurante. J’eus presque la sensation qu’elle me réchauffait. Je vis les ombres de ces hommes disparaître peu à peu dans les ténèbres qui elles-mêmes allèrent en s’émourrant. Je finis par ne plus les distinguer du tout. Demeurait seulement cette clarté apaisante et réconfortante. Je l’observais comme si elle me délivrait un message que je comprenais, comme si nous nous connaissions. Puis, son éclat se fit moins intense et j’eus le sentiment que mon rêve prenait fin.
Je désirais tant deviner ce qu’elle cachait avant qu’elle ne me quitte tout à fait. Je sentis que je m’agitais, me débattant avec le temps qui m’était compté. Le halo de lumière se dispersa pourtant tandis qu’une plainte harmonique s’élevait dans l’espace. Toujours endormie, entamant le chemin qui voulait me ramener à la conscience, je bâtis mes paupières comme des ailes de papillons. La lumière revint de nouveau. Plus intense, plus proche, elle jaillit et m’aveugla.
Sous mon regard brouillé, la boule de lumière incandescente éclata et se dispersa.
Ses yeux bleus brillants, étincelants comme deux diamants s’écrasèrent alors sur les miens en me renvoyant leur lumière. Je me réveillai en sursaut, ses paroles envahirent ma tête. " Tu ne risques plus rien".

 


Commentaires

 

Sendreen  le 26-02-2010 à 17:15:34  #

Quelle ambiance! Tu installe une ambiance étouffante et inquiétante en seulement quelques mots et c'est très réussi! Fais attention à nos petits nerfs.

Qui est entré dans sa maison?? Ralala un peu de suspense.

*Didine*  le 06-02-2010 à 08:43:09  #

Coucou Linette ...

Super comme d'hab. J'adore ton roman, mais tu le sais déjà je te le dis sur le fo' ...

Sympa ton nouveau design. Sinon je suis ravie de pouvoir relire les premiers chapitres.

Bisous. Hey

 
 
le 07-02-2010 08:30

Le parcours du combattant: L'édition

 

Le 15  janvier dernier, j'ai achevé l'écriture de "De nos grandioses métamorphoses".

S'en sont suivies de longues heures de relecture et de correction et le doute, chaque seconde, s'est fait plus fort.

Je me suis sentie davantage préparée à partager cette histoire alors mes recherches ont commencé.

J'ai fait enregistrer mon manuscrit auprès de deux organismes et une fois mes droits enregistrés, j'ai pu passer à une étape nouvelle .

J'ai glané ci et là des informations diverses sur les maisons d'éditions, lu des kilomètres d'interviews, cherché des noms, prénoms et coordonnées.

Nous voici le 7 février 2009, 23 maisons d'éditions, petites, moyennes et grandes, ont en leur possession mon manuscrit.

Je partagerai ici, avec vous, cette expérience, ce parcours du combattant...Croisez les doigts avec moi...Qui sait...Même si la chance n'a pas vraiment sa place dans ce monde là, je pourrais tout de même en avoir besoin...

 


Commentaires

 

Elwin  le 07-02-2010 à 12:06:03  #   (site)

Oui tu le sais qui ne tente rien....
Surtout tiens moi au courant hein....je pense t'avoir bien poussée au c** !! LOL

et si tu as besoin d'un hébergement à Paris, tu sais que je suis là Clin doeil

Bisous !

 
 
le 08-02-2010 08:25

Nous sommes le lundi 8 février 2010. J'attends deux réponses importantes.

La première, celle des Editions Praelego, la seconde celle d'Hachette.

Aujourd'hui 11 maisons d'éditions vont recevoir le manuscrit.

Je croise les doigts pour qu'il ne passe pas direct à la poubelle...

J'en profite pour vous remercier de vos commentaires.

Ils m'encouragent et sont très très importants !

 


Commentaires

 

angelsonrisa  le 10-02-2010 à 17:27:39  #   (site)

J'espere vraiment que ça aboutira à quelque chose.
Tu le mérites ce manuscrit ( ce que nous en avons) est magnifique et fais vraiment voyager mon esprit.

 
 
 

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